Lola de Jacques Demy

Lola

Lola

A l’initiative de Ciné Tamaris, société de production et de distribution dirigée par Agnès Varda et sa fille Rosalie Varda, les fondations Technicolor et Gan ont financé la restauration et la numérisation du premier long métrage de Jacques Demy Lola (1961) dans les laboratoires Technicolor de Los Angeles.

Une longue aventure et un gros travail puisque le négatif du film avait brûlé. Heureusement, Agnès Varda avait retrouvé au BFI (la Cinémathèque de Londres) en 1999, à partir de laquelle a été fait un internégatif, et de cet internégatif un négatif restauré.

Une affaire de famille aussi, comme toujours avec l’œuvre de Jacques Demy qui a bénéficié depuis la disparition du cinéaste de la passion et de la mémoire de ses proches, sa femme Agnès Varda et ses enfants puisque c’est le fils du cinéaste Mathieu Demy (lui aussi cinéaste, et acteur) qui a fait l’étalonnage de cette restauration qui ressort aujourd’hui en France, distribué par Sophie Dulac.

L’occasion rêvée de revoir ou découvrir sur grand écran et dans une copie magnifique, l’un des plus beaux films français.

“A Nantes, un jeune homme désillusionné et rêveur, Roland Cassard, s’ennuie. Passage Pommeraye, il croise par hasard une amie d’enfance, Cécile devenue Lola, une chanteuse de cabaret qui attend le retour du grand amour de sa vie, Michel, parti lorsqu’elle était enceinte de leur fils, Yvon, qu’elle élève seule. Le même jour, Roland Cassard a rencontré dans une librairie Mme Desnoyers, une bourgeoise ruinée et esseulée qui elle aussi élève seule sa fille Cécile, une adolescente. Il y a également Frankie, un marin américain, amant occasionnel de Lola qui croise le chemin de la jeune Cécile et l’emmène à la foire. Roland avoue son amour à Lola, qui le rejette. « On n’aime qu’une fois, pour moi c’est déjà fait ». Michel est revenu à Nantes, tout vêtu de blanc au volant d’une Cadillac. Il a fait fortune aux Etats-Unis et vient chercher Lola et Yvon. Lola tombe dans ses bras. Cécile a fait une fugue, elle s’est enfuie à Cherbourg, laissant sa mère désemparée. Roland, amoureux malheureux a décidé de quitter la ville, et croise sans la voir la Cadillac qui emporte Michel, Lola et Yvon loin de Nantes.

Il serait faux de dire que Lola, un des plus beaux premiers longs métrages français, offre les prémices d’une œuvre en gestation. Tout est déjà accompli, parfaitement agencé, et l’on a même le sentiment que Demy, qui rêve d’une comédie humaine balzacienne au cinéma, a déjà préparé ses films suivants. Lola oscille entre la perfection subtile de la construction de son récit, fait de plusieurs histoires entrecroisées, et l’apparente liberté de sa mise en scène. Avec une maîtrise impressionnante pour un cinéaste débutant, Demy installe son univers. Pourtant, Lola n’est pas le film dont Demy avait rêvé pour son entrée en scène. Il avait déjà en tête une comédie musicale et colorée. Faute de moyens suffisants, il transforme le tableau chatoyant en esquisse en noir et blanc, où se marient les images hyper contrastées du grand directeur de la photographie de la Nouvelle Vague Raoul Coutard, les longs plans et les travellings serpentins hérités de Max Ophuls auquel le film est dédié.

Lola permet à Demy de réunir pour la première fois le décorateur Bernard Evein et le compositeur Michel Legrand (à la place de Quincy Jones initialement pressenti), qui deviendront ses plus fidèles collaborateurs.

Demy réalise un film profondément personnel, intime et original dans sa conception, son sujet et sa mise en scène. Tout est là, pour la première fois. Les jeux du hasard et destin, avec des personnages qui se croisent, se retrouvent et s’abandonnent dans les rues de Nantes, les marins en permission, une héroïne sentimentale, moderne et sexy (la belle Anouk Aimée, Lola pour toujours), la mélancolie et les larmes de joie. Le temps, sans doute le grand thème du cinéma de Demy, est au cœur de Lola, avec l’obsession du retard, les rendez-vous pris ou manqués, et surtout la répétition, à plusieurs années d’intervalles, de la scène primitive du film : une jeune fille prénommée Cécile qui s’éveille à l’amour dans les bras d’un homme habillé en marin. Le grand amour se trouve ainsi conjugué sur le mode de la première fois, la plus forte, la plus inoubliable, à toutes les personnes du féminin (les trois femmes du film, Lola, Cécile et Mme Desnoyers). Demy ne fait pas encore chanter ses personnages, mais c’est déjà un grand parolier. Il invente un phrasé original, plus proche de Cocteau et de Bresson que des mots d’auteur de la Qualité Française. Rien de plus gracieux et émouvant que d’entendre la jeune Cécile, au bagout enfantin, déclarer soudain à Frankie le marin américain qui l’a emmené à la fête foraine le jour de ses quatorze ans : « J’ai comme une grande peine à vous quitter ». Enfin, Lola, pour Demy, est aussi l’expression d’une morale (d’homme, de cinéaste) à laquelle il demeurera fidèle. Une morale stoïcienne, qui prône l’élégance et le refus du désespoir. « Pleure qui peut, rit qui veut » prévient le carton au début du film. « Il faut toujours plaire, c’est un principe » dit Lola en plaisantant. Toujours plaire, sans rien transiger, et proposer un art poétique nouveau, c’est la réussite miraculeuse de ce coup d’éclat enchanteur.”

Texte extrait du livre « Jacques Demy » (éditions de La Martinière) que nous avons publié en 2010, coécrit avec Marie Colmant et avec la complicité bienveillante de la famille Varda-Demy.

This entry was posted in Uncategorized. Bookmark the permalink.

Leave a comment