Hommage à Koji Wakamatsu

Koji Wakamatsu

Koji Wakamatsu

Nous avons appris hier la triste nouvelle de la disparition de Koji Wakamatsu, renversé par un taxi à Tokyo. Le réalisateur et producteur japonais était âgé de 76 ans, et toujours aussi hyperactif avec pas moins de trois films tournés en 2012, dont un sur le coup d’état et la mort de Mishima présenté en mai au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard : 11·25 jiketsu no hi: Mishima Yukio to wakamono-tachi.

Koji Wakamatsu, l’enfant terrible du cinéma japonais, est connu pour sa pléthorique filmographie majoritairement constituée de séries B érotiques.  Mais moins qu’un érotomane formaliste, Wakamatsu est un cinéaste enragé pour qui le sexe est d’abord affaire de politique. Né en 1936, cet enfant de la campagne de la province de Myagi débarqué à Tokyo devient très jeune un petit yakuza. En 1958 il purge une peine de six mois de prison après une rixe, ce qui met un terme à ses activités dans la pègre. À sa sortie de prison il se prend de passion pour le cinéma et trouve du travail à la télévision, puis dans les milieux du « Pinku-eiga », les films sexy nippons. Il entre  à la Nikkatsu en 1963 en réalisant des films érotiques à la chaîne avant de devenir son propre producteur dès 1965.

Les années d’apprentissage de Wakamatsu, son expérience carcérale ont forgé le caractère et les convictions d’un homme foncièrement révolté et insoumis, hostile aux forces de l’ordre et au pouvoir politique en place.

Ses films érotiques frappent par leur avant-gardisme mais aussi leur discours subversif et engagé. Des récits souvent très cruels d’humiliation et de relations sadomasochistes sont autant de critiques d’une société capitaliste, machiste et soumise à la puissance militaire et politique des Etats-Unis. La sexualité n’est pas le lieu d’une jouissance hédoniste et libertaire, mais au contraire la métaphore, par le viol et la folie, d’une relation de domination. La dimension révolutionnaire des films érotiques de Wakamatsu est comprise par les étudiants gauchistes des années 60. L’intérêt est réciproque puisque Wakamatsu ne cache pas ses sympathies pour l’extrême gauche internationale. Au début des années 70, il part au Liban et vit plusieurs mois avec les combattants du Front Populaire de libération de la Palestine et film des camps de réfugiés. Il en revient avec un documentaire, entre le témoignage et le militantisme : Armée rouge/FPLP : déclaration de guerre.

En 1972, la prise d’otages d’Asama Sanso va sonner le glas de toute la gauche japonaise, décrédibilisée aux yeux de l’opinion par les excès autodestructeurs de l’Armée rouge unifiée. Wakamatsu, qui avait jusque-là soutenu la lutte armée, découvre les dérives sanglantes du groupuscule et les assassinats de quatorze militants, victimes de séances d’autocritiques imposées par des petits chefs hystérisés. Il faudra attendre 2007 pour que Wakamatsu décide de produire et mettre en scène le film United Red Army (Jitsuroku Rengo Sekigun: Asama sanso e no michi) sur cette page tragique de la gauche révolutionnaire japonaise. Ce projet hors-normes dans le cinéma contemporain et dans l’œuvre du cinéaste, par sa forme semi documentaire et sa durée (plus de trois heures) est autant un film de colère que de mémoire. Il s’agit d’exposer avec honnêteté l’histoire de la lutte armée au Japon en contextualisant l’issue tragique de l’Armée rouge unifiée, et de se révolter contre les précédentes reconstitutions cinématographiques, en particulier Le Choix d’Hercule / Face à son destin (Totsunyûseyo! Asama sansô jiken, 2002) de Masato Harada qui adoptait le point de vue de la police. Le huis clos dévastateur dans la seconde partie du film renvoie aux films des années 60 de Wakamatsu. Le cinéaste parvient à trouver la distance juste pour expliquer une explosion de violence plus pathologique que politique, tout en exprimant sa solidarité et son admiration pour ces jeunes garçons et filles qui crurent en la possibilité d’un monde différent et meilleur.

United Red Army

United Red Army

Dans les années 60 Wakamatsu pratique la guérilla cinématographique, capable de signer sans beaucoup de temps ni d’argent des œuvres détonantes dont la violence politique a un impact direct, autant viscéral qu’intellectuel, sur le spectateur. Les films de Wakamatsu se situent à la croisée de la série B sado maso et du cinéma moderne japonais. Wakamatsu est un formaliste talentueux, amoureux du noir et blanc contrasté, des musiques dissonantes et de la dissertation politique qui a intégré les ruptures narratives et formelles de la modernité au marché du film de cul. Plastiquement superbes, les films empruntent les nombreux procédés en vogue à l’époque (mélange du noir et blanc et de la couleur, arrêts sur images, faux raccords, free jazz…) avec une volonté permanente d’agresser le spectateur. Chargés d’une rage pure, traversés parfois par une douce poésie, les films de Wakamatsu provoquent moins l’excitation du public (la chair est triste) que sa réaction devant des scènes de sexe dérangeantes qui sont autant de métaphores de la lutte des classes et de l’exploitation des femmes. Le jeune cinéma japonais des années 60 fut le plus radical du monde, et les films de Wakamatsu le confirment. Les Secrets derrière le mur (Kabe no naka no himegoto, 1965) est une charge sociale où une histoire de voyeurisme permet d’explorer le désarroi et la lâcheté de la société japonaise de l’après-guerre. Quand l’embryon part braconner (Taiji ga mitsuryô suru toki, 1966) est un hallucinant huis clos dans lequel un homme séquestre sa maîtresse et la soumet à de longue séance de bondage sauvage sur fond de musique classique. Quand l’embryon part braconner connut le douteux privilège d’être interdit aux moins de dix-huit ans lors de sa première distribution française dans le circuit art et essai… en 2007 !

Quand l'embryon part braconner

Quand l’embryon part braconner

Les Anges violés (Okasareta hakui, 1967), l’un des titres les plus célèbres de Wakamatsu, s’inspire d’une tuerie commise par un déséquilibré dans un hôpital.

Va va vierge pour la seconde fois (Yuke yuke nidome no shojo, 1969), récit de viol et d’humiliation tourné en quatre jours sur le toit d’un immeuble est un véritable manifeste du cinéma selon Wakamatsu.

Va va vierge pour la seconde fois

Va va vierge pour la seconde fois

La Saison de la terreur (Gendai kôshoku-den: Teroru no kisetsu, 1969), réputé mineur, dresse le portrait clinique de l’embourgeoisement d’un ex militant qui se fait entretenir par ses deux maîtresses. Mais la filmographie pléthorique de Wakamatsu est riche en trésors cachés.

Réflexions sur la mort passionnelle d’un fou (Kyôsô jôshi-kô, 1969) est un film moins ouvertement politique que d’habitude, l’histoire d’une fugue de deux amants unis par le meurtre et la culpabilité.

Affiche japonaise de Sex Jack

Affiche japonaise de Sex Jack

Le fameux Sex Jack (Seizoku, 1970) est un long métrage particulièrement programmatique et illustre la méthode du cinéaste qui consistait à faire du cinéma révolutionnaire en profitant du réseau des salles spécialisées dans le cinéma érotique, dit « pink ». Wakamatsu est un producteur réalisateur indépendant, il ne se soucie pas de détourner l’esthétique des séries B sexy produites à la chaîne par la Nikkatsu, à la manière d’un Kumashiro. Wakamatsu invente son propre style, agressif et dissonant mêlant noir et blanc et couleur, images de reportage et mise en scène épurée. Il s’adresse aux étudiants et aux gauchistes qui sont aussi les héros de ses films ainsi qu’aux spectateurs éberlués croyant découvrir un porno soft. Chez Wakamatsu, la chair est allégorique, soulignant les relations de soumission entre hommes et femmes, exploiteurs et exploités. Sex Jack reprend la structure du huis clos, chère au cinéaste, pour enfermer dans un appartement des étudiants révolutionnaires recherchés par la police. Exacerbées par la promiscuité et l’alcool, les tensions sexuelles et politiques vont provoquer l’effondrement du groupe. Le cinéma de Wakamatsu, sans cesse au bord de l’explosion (qui finit parfois par se produire dans des finales apocalyptiques), véhicule une rage folle de sexe et de destruction. Les films embrassent la cause révolutionnaire, mais ils en font également la critique précoce, stigmatisant les dérives autoritaires et répressives de certains groupuscules d’extrême gauche. Le très beau L’Extase des anges (Tenshi no kôkotsu, 1972) montre la lutte armée révolutionnaire s’enliser dans les guerres fratricides. Deux fractions se disputent la possession d’explosifs volés dans une base américaine pour perpétrer des attentats dans Tokyo. Bien avant United Red Army (2007) Wakamatsu dénonçait déjà l’hystérie des petits chefs de cellules prêts à torturer et violer des camarades par fanatisme. L’idéalisme de jeunes gens qui rêvaient de construire un nouveau monde sur les cendres de l’ancien se heurte aux trahisons internes et à la violence pathologique. La séance de photo coquine avec deux lycéennes délurées, scène de genre incontournable, est abrégée par la crise de nerfs d’un gauchiste impuissant.

L'Extase des anges

L’Extase des anges

Sex Jack et Les Anges violés seront présentés à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 1971. C’est le début de la reconnaissance internationale. En 1976 il coproduira L’Empire des sens de son ami Nagisa Oshima, qui connaîtra un grand succès et une polémique mondiale.

Alors que ses productions des années 90 et 2000, moins nombreuses, avaient sombré dans l’anonymat du marché spécialisé nippon, invisibles à quelques rares exceptions près, Wakamatsu est revenu sur le devant de la scène cinématographique avec la dernière partie de son œuvre, dans laquelle il entreprend un remarquable et ambitieux travail de mémoire et refuse l’idée de réconciliation avec le Japon et son histoire
Après United Red Army, il réalise en 2010 Le Soldat dieu (Kyatapirâ), son centième film, en 48 ans de carrière et parfois dix titres par an, présentéen sélection officielle au Festival de Berlin, où Shinobu Terajima remporte le prix de la meilleure actrice.

Le Soldat dieu

Le Soldat dieu

Aujourd’hui ses films les plus célèbres que nous citons dans cet article sont tous disponibles en DVD grâce à l’éditeur Blaq Out.

Nous avons eu le privilège de rencontrer Wakamatsu à plusieurs reprises à Paris, Berlin et Cannes à l’occasion de la promotion de ses derniers films et des rétrospectives de son œuvre. C’était un homme affable et sympathique, un combattant qui n’a jamais perdu sa foi dans le cinéma et sa volonté d’en découdre avec le monde et la société. Nous adressons à sa famille, ses collaborateurs et ses proches nos plus vives condoléances.

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2 Responses to Hommage à Koji Wakamatsu

  1. Mathieu Capel says:

    De fait, l’idée que Wakamatsu aurait commencé à la Nikkatsu est une erreur courante mais une erreur tout de même, que Jasper Sharp ou Wakamatsu se sont chargés de corriger récemment.

  2. Pingback: Les meilleurs films des années 70 / Best films of the 70’s | Olivier Père

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