Sur trois westerns de Jack Arnold : Une balle signée X

Affiche américaine d'Une balle signée X

Affiche américaine d’Une balle signée X

Une balle signée X (No Name on the Bullet, 1959) s’impose comme le meilleur western de Jack Arnold, mais la plupart des critiques ont surtout vanté l’originalité de son scénario – signé Gene L. Coon d’après une histoire de Howard Amacker pour mieux déplorer la mise en scène fonctionnelle et presque froide de Jack Arnold. Cependant, cette absence d’effets ne fait que renforcer l’étrangeté d’Une balle signée X. Alors que quelques westerns classiques sont célèbres pour baigner dans une atmosphère empruntée au fantastique gothique (ne citons que le plus admirable, Quand les tambours s’arrêterontApache Drums – de Hugo Fregonese, 1951), Une balle signée X flirte du côté de la science-fiction en proposant une approche inédite d’une figure mythologique de l’Ouest : le tueur à gages. Une balle signée X est construit autour d’une idée originale et ludique. Un célèbre et redoutable tueur arrive dans une petite ville. Comme presque tous les habitants ont quelque chose à se reprocher, ils imaginent que Gant est venu pour les tuer. L’angoisse ne cesse de monter du fait que ce tueur, Gant, utilise une méthode personnelle qui consiste à toujours exécuter ses victimes en état de légitime défense, ou en les poussant à s’entre-tuer entre elles. Cette astuce de scénario permet bien sûr à Arnold de créer un suspens durable et surtout de se livrer à la satire – comme dans Le Salaire du diable – de la veulerie ordinaire et à la lâcheté d’un groupe de notables véreux rongé par la paranoïa et la culpabilité. Si cet aspect du film fonctionne parfaitement, ce n’est pourtant pas là que réside son principal intérêt. Une balle signée X s’apparente aux meilleures réussites science-fictionnelles, en spéculant lui aussi sur la peur de l’étranger et de l’inconnu, qui n’est plus cette fois un monstre ou un extra terrestre, mais un tueur à la psychologie et aux émotions totalement opaques. C’est une apparition terrifiante, car davantage que la figure romantique du Destin, elle porte le masque d’une pure force déshumanisée, d’une mécanique meurtrière, qui n’est pas sans évoquer la maladie. Gant est clairement désigné comme un virus qui vient déclencher la peur et la mort dans un organisme déjà vicié. Ce n’est certes pas un hasard si la seule personne qui va tenter de comprendre Gant en l’observant et lui parlant est le robuste médecin et vétérinaire du village, Luke Canfield, le fils du maréchal-ferrant. Il est le seul avec son père à ne pas éprouver de la crainte en face de Gant, mais une forme de curiosité professionnelle. L’homme de science pragmatique et équilibré en lutte contre une manifestation irrationnelle de terreur et de superstition, voilà un thème qui nous rapproche davantage de la science-fiction que du western. Une balle signée X va progressivement tisser un parallélisme entre les deux hommes. Le film est organisé autour de discussions au cours desquelles Gant manifeste un profond cynisme et une absence totale de sens moral. Il estime que l’important est de savoir qui on tue et à quel prix (il choisit ses contrats) et que vouloir guérir les malades est dérisoire puisque la mort est un phénomène irrémédiable. Gant s’imagine volontiers en ange exterminateur qui exécute le châtiment suprême. Sa mégalomanie de prédicateur qui se place au-dessus des lois, son cynisme et son goût de l’argent le rapprochent des figures négatives de Crépuscule sanglant et Le Salaire du diable, tandis que sa moue et son visage aux traits enfantins (c’est Audie Murphy, tout de noir vêtu, qui interprète le rôle et se montre pour l’unique fois de sa carrière parfaitement convainquant) évoquent l’acteur Grant Williams, et même les inquiétants enfants de The Space Children. Le tueur se considère comme un guérisseur qui applique un seul remède, la mort, tandis que le médecin entreprend de vouloir soigner le village d’une maladie sans remède, la peur. Il n’est pas question dans le film d’une tentative d’explication psychologique de Gant mais plutôt d’un diagnostic médical sur son cas, et d’une interrogation sur la nature du Mal, isolé en la personne de Gant. Le Mal est envisagé comme une maladie virale, puisque le médecin et son père évoquent la possibilité que Gant ait été pris à un moment de sa vie dans un engrenage fatal – une contamination – qui le pousse à son tour à semer la désolation sur son passage. Contamination, addiction : Jack Arnold poursuit discrètement dans Une balle signée X les thèmes abordés dans son film précédent Le Monstre des abîmes (Monster on the Campus, 1958). Une nouvelle fois, Arnold n’a pas peur du symbolisme, ni des grandes questions morales. Mais Une balle signée X représente une progression par rapport aux westerns précédents d’Arnold car il est dépourvu de tout manichéisme et possède des qualités d’ambiguïté et d’ironie qui manquaient à Crépuscule sanglant et Le Salaire du diable. Le cynisme de Gant à propos de la futilité dérisoire de la lutte des hommes contre la mort se transforme en lucidité lorsque le médecin parvient à maintenir inutilement en vie quelques heures un banquier qui s’est tiré une balle dans la tête pour échapper au « châtiment » du tueur. D’un autre côté, on découvre à la fin du film que Gant est venu tuer un vieux juge, alors qu’il s’agit du seul notable sympathique – et vraisemblablement intègre – de la ville, et qu’il est en outre condamné par la médecine et vit ses derniers jours. Gant ne remplira d’ailleurs pas son dernier contrat et sa prétendue infaillibilité sera contestée par la Mort elle-même, sa plus fidèle alliée, puisque le vieux juge mourra d’un arrêt cardiaque avant que gant ait pu tirer sur lui. De même, une ellipse laisse planer un doute sur la froideur et les bonnes manières de Gant. A-t-il ou non violé la fille du juge ou ne s’agit-il que d’une mise en scène perverse ? Le discours de Jack Arnold se teinte de relativisme. « Après tout, Gant n’est qu’un homme » entend-on dans le film. C’est d’ailleurs comme un homme qu’il sera définitivement mis hors d’état de tuer, la main droite brisée par le marteau de forgeron lancé par le médecin. Ce duel final anti conventionnel (pistolet contre marteau) a beaucoup joué en faveur de la réputation du film et de celle de Jack Arnold, parfois rangé parmi les inventeurs de scènes gadgets en compagnie de William Castle. Pourtant, Arnold radicalise dans Une balle signée X son dégoût de la violence, les rares scènes de violence et d’action du film étant rapidement expédiées. La fameuse scène finale est une explosion de violence logique après un récit marqué par la rétention et l’attente. Elle permet également à Arnold de résoudre la problématique de son film (le pouvoir de vie et de mort sur autrui) sans justement avoir recours au meurtre de Gant. Ce dernier quitte d’ailleurs la ville libéré, un bras en moins mais guéri.

Les trois principaux westerns de Jack Arnold forment un sous-ensemble cohérent, qui vient s’insérer dans l’ensemble plus vaste des ses films de science-fiction. Vantés pour la qualité de leurs scénarios, les points thématiques communs qui les rapprochent – alors qu’ils ont été écrit par trois scénaristes différents – ne nous permettent par de minimiser la responsabilité ni la conviction du cinéaste dans le fruit de son travail. Jack Arnold auteur ? Peut-être pas. De toutes façons, nous savons désormais que la réponse est ailleurs, sans doute dans ce « génie artisanal » dont parle Jean-Claude Biette à propos de L’homme qui rétrécit et dont les fantastiques années cinquante du cinéaste portent la marque : « le génie artisanal est ce don mystique qui permet à certains de s’identifier aveuglément à l’objet qu’ils fabriquent : ce don est capricieux, imprévisible, et varie en intensité; les objets qui en résultent ne sont qu’apparemment impersonnels. » (« Cahiers du cinéma » n°380, Février 1986, repris dans La Poétique des auteurs, Éditions de l’étoile, Paris, 1988, p. 133)

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